En croisière sur un Outremer 5X

Une certitude est désormais acquise, au terme de cette mission à bord d’un Outremer 5X, catamaran de voyage (très) performant de 18,50 m de long : la période mars-avril est encore un tantinet précoce pour les croisières peinardes en Méditerranée. Lors de mes convoyages au fil des ans, cela ne m’avait jamais franchement préoccupé ni même interpellé : on enfile des chaussettes chaudes sous les bottes, on serre le col et les poignets du ciré, on porte la toile du temps, au pire on se planque 24 ou 48 heures quelque part pour laisser passer le gros d’une dépression hivernale, mais pour le reste on avance sans faire son douillet.

S’agissant d’amener une petite famille à la découverte de son nouveau bateau et des exigences de la navigation semi-hauturière ou hauturière, c’est tout de même une autre histoire. Il a fallu se faufiler entre les coups de vent (lorsque le flux d’Ouest se calmait, c’était pour mieux revenir de l’Est après une courte rémission, et vice-et-versa), bien choisir ses mouillages histoire de dormir confortablement, adapter le programme et la route autant que nécessaire : à 8 ou 10 noeuds face à la mer, ce genre de machine a vite fait de vous rappeler que la vitesse peut être aussi un inconfort, éviter les parcours bout au vent lorsque cela se creuse n’est pas un luxe.

Au départ de Port Camargue par un temps de demoiselle que nous ne reverrons pas souvent. La corvée de carburant, sur ce type de bateau, est aussi rapide que rare : le cata est si véloce dans les petits airs que les moteurs ne sont guère utilisés hors des ports.

Qu’importe, si l’on considère que mes clients, des Américains venus de l’Utah, ne faisaient là que débuter une longue itinérance de plusieurs années : à cette échelle de temps, on se moque un peu de rester coincer deux jours ici ou trois jours là par le mauvais temps. On oublie un peu trop souvent que naviguer c’est voyager, et donc aussi savoir se poser, visiter, oublier la mer par intermittences pour voir du pays…

Pour Matt, Gina, et leurs trois enfants, qui n’étaient venus qu’une fois en Europe – lors de l’acquisition de leur voilier – chaque escale était une découverte, historique, touristique, culturelle, gastronomique. Dès notre première pause à Marseille mes clients se sont avérés enchantés, et l’obligation de prendre la navette au port du Frioul pour se rendre en ville – au Vieux port il n’y a que trop peu de places pour les bateaux de passage, et encore moins pour ceux de ce calibre – n’a jamais pesé.

En repartant de Marseille, où je me suis plu à jouer le guide touristique. En arrière-plan l’archipel du Frioul, qui a abrité notre escale de quelques jours.

Naviguer à cette époque, c’est aussi se retrouver seul au mouillage à Porquerolles (un luxe inouï pour qui garde en tête sa dernière escapade estivale), poser l’ancre à Théoule pile en face d’un restaurant de poissons méritant résolument le détour, visiter le musée Picasso d’Antibes sans faire la moindre queue, déambuler à Elbe dans les rues de Portiferraio ou sur la place de Porto Azzuro sans croiser grand-monde d’autre que les résidents permanents de l’île … Nous ne retrouverons les grandes foules qu’en visite au Coliseum et au Forum de Rome, ralliée en une heure de voiture de location depuis notre escale près d’Ostie.

Sous Code zéro entre cap Bénat et l’île du Levant.
En doublant les iles de Lérins. Ça piaule, de nouveau.
Devant le cap Corse, sous deux ris et trinquette, par un froid de gueux. En prime le plaisir de voir le vent tourner autour du Cap en même temps que nous. A tirer des bords jusqu’à Bastia …
Un Frioul 38 rencontré à Elbe. Florence Arthaud avait couru la Route du Rhum 78 sur l’un des ces plans Mauric construits pour l’école de voile de Marc Linski

Prendre en mains un nouveau bateau, c’est passer beaucoup de temps à le découvrir, à s’y adapter, à le mettre à sa main et à l’optimiser en relation avec ses propres exigences et en relation avec son programme de navigation. Sur une machine de 60 pieds aussi sophistiquée, il y a de quoi faire, l’un des sujets majeurs consistant à réfléchir et mettre en oeuvre toutes les solutions pouvant à l’avenir faciliter la vie et les manoeuvres à un équipage familial. Dans sa vie précédente, cet Outremer 5X était aux mains d’un propriétaire dont la passion était la course en équipage et la chasse aux records de vitesse : garde-robe, plan de pont, appendices et aménagements avaient été adaptés en conséquence, avec pour résultat un bateau certes très véloce et particulièrement excitant en navigation, mais en contrepartie particulièrement exigeant. Des modifications avaient déjà été apportées en termes de confort après l’achat d’occasion du bateau, mais c’était encore loin de faire le compte s’agissant d’assagir la bête et d’en faciliter l’utilisation.

Je n’aurai pas regretté d’avoir emmené ma trousse de matelotage. Ce jour-là, il s’agissait d’installer dans la soute à voiles des palans facilitant le « matossage » d’une garde-robe aussi abondante (et volumineuse) que sophistiquée

Un sujet majeur aura retenu mon attention un bon moment : la correction des données de vent de la girouette en fonction de la rotation appliquée au mât pivotant. Sans cela, pas d’angles de vent fiables, aucune indication sérieuse de la force du vent réel, et aucun espoir de naviguer sous pilote automatique en mode vent. La question aura été finalement été résolue avec l’intervention d’un technicien de NKE Italie.

Bientôt ma mission prenait fin, d’autres engagements m’appelant ailleurs, il était temps de faire mon sac et de rédiger les dernières lignes d’une liste de préconisations visant à transformer le catamaran en voilier de croisière un peu moins radical. Dommage, la météo annonçait l’arrivée des vrais beaux jours, ce serait au prochain skipper d’en profiter.

Sous spi asymétrique, un avant-goût de l’été… enfin !

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