Golfe de Gascogne express en Pogo 1250
Les Pogo occupent une place bien particulière dans l’univers des voiliers de croisière. S’ils ne sont pas tout à fait les seuls (on pense aux croiseurs d’IDB Marine et de JPK, ou encore aux Bepox), ils sont les fers de lance de cette approche architecturale un peu marginale consistant à dessiner des monocoques légers, rapides – et très marins, ce qui ne gâche rien – au prix d’intérieurs plutôt dépouillés et d’un confort plus restreint que dans l’immense majorité des bateaux du marché. Les carènes, directement issues du savoir faire développé par le cabinet Finot-Conq dans le domaine de la course open et notamment des protos du Vendée Globe, sont larges, puissantes et stables à toutes les allures. Les quilles pivotantes, héritées du modèle mis au point en son temps pour le First Class 8, offrent un tirant d’eau important et placent le lest très bas, garantissant une forte raideur à la toile et de bonnes performances contre le vent, tout en permettant en position relevée d’accéder à des mouillages ou des ports peu profonds. Les mâts en carbone portent des grand-voiles dotées d’une corne de belle dimension, tout en se passant de pataras de façon à simplifier les manoeuvres. Le plan de voilure et les manoeuvres sont eux aussi inspirés de la course : bout dehors rétractable, spis asymétriques de surface généreuse, points de tire réglables en trois dimensions, trinquette sur étai textile largable, bloqueurs à télécommande, cordages en fibres haut module et matelotage soigné. Le chantier Structures assure que ses Pogo sont livrés « prêts à transater », et ce n’est pas une rodomontade.
J’avais déjà, en essai pour le magazine Voiles et Voiliers, navigué sur le Pogo 30 – le petit dernier – et à bord du Pogo 50 – le navire amiral du chantier. Je n’avais en revanche approché le Pogo 1250 qu’à l’occasion de prises de vue … illustrant un de mes articles techniques sur les manoeuvres de port.
J’étais par conséquent ravi d’embarquer ce mois d’août pour une « vraie » escapade à bord d’un Pogo 1250 basé à Bénodet, destination Gijon sur la côte nord de l’Espagne : les propriétaires s’aventuraient là dans leur première navigation hauturière, avec tout ce que cela implique, et souhaitaient pour leur baptême du feu se faire accompagner. Comme d’habitude, j’ai encadré et conseillé mes clients dans tous les domaines de l’exercice : préparation du bateau et contrôles d’avant départ, plan de route et stratégie météo, gestion de l’équipage et du rythme des quarts, veille visuelle et AIS, approfondissement dans l’utilisation des outils électroniques, paramétrage du pilote automatique, manoeuvres, réglages et réduction de voilure… La descente vers les Asturies s’est effectuée comme dans un charme, 43 heures de portant dans une brise légère, en alternant spi et genaker, tout en dessinant une belle trajectoire en aile de mouette sur la bordure de l’anticyclone.
Dans l’intervalle, capture d’un thon qui s’est empressé de retourner à l’eau sitôt pêché, faute d’avoir été soigneusement contrôlé ! A l’arrivée, la moyenne chutera légèrement sous l’influence d’un brouillard très épais à l’atterrissage en fin de nuit sur l’Espagne, nous obligeant à réduire pour un quelques heures la vitesse à quelque 2,5 noeuds, tout en renforçant la veille. L’épisode sera l’occasion de confirmer que la misérable trompette en plastique vendue comme corne de brume réglementaire ne vaut pas tripette. J’aurai à l’avenir encore moins de scrupules à insister auprès de mes clients pour qu’ils investissent quelques euros dans un modèle digne de ce nom, alimenté par une cartouche de gaz.
Le retour s’avèrera un peu plus humide et sportif, avec le retour à une situation dépressionnaire, dans un vent d’Ouest soutenu et rafaleux. La traversée n’en a été que plus rapide, ce type de carène faisant merveille aux allures de bon plein ou de petit largue. L’accostage à Bénodet à la nuit tombante et en début de jusant restera probablement dans la mémoire des propriétaires, et je ne l’oublierai pas non plus. En pleine vives eaux et à marée descendante, manoeuvrer dans la marina est quasiment impossible, un fort courant circulant entre les pontons. Arrivés un peu juste après l’étale, nous avions envisagé de nous amarrer en face, à Sainte Marine. Las, il n’y avait plus une place au ponton visiteur, et nous étions contraints de nous rabattre sur le plan B : une nuit au mouillage sur corps mort. Mais le rêve d’une bière en terrasse au café de la cale avait déjà fait dans nos esprits son chemin pernicieux, si bien que nous avons fini par abandonner les bonnes résolutions pour tenter de rejoindre la place attitrée du bateau.
La manoeuvre a été l’occasion d’une jolie démonstration de ferry-gliding. En français on parle de « faire un bac », en résumé cela consiste à gérer une approche glissée, en naviguant en crabe. Avec de la pratique et un bon alignement, on arrive même à se déplacer uniquement de façon latérale, sans avancer ni reculer d’un pouce. Deux mètres d’espace devant, un mètre cinquante derrière, nous voilà effectuant un travers impeccable dans la darse, l’étrave arrive à hauteur du catway, il ne reste plus qu’à redresser la barre et à pousser un peu plus les gaz… Et soudain sans préavis notre Pogo part se coller au voisin, à l’opposé du catway. Le défenses étant en place des deux bords, et une défense volante justifiant son rôle dans l’instant, il suffira de se laisser mourir sur son bordé pour ensuite jouer des amarres. Une fois débarqué sur le ponton nous aurons le fin mot de l’histoire, en observant le courant s’infléchir de 60 degrés en cet endroit précis. Morale de l’épisode ? Maîtriser le ferry gliding est plus qu’utile, anticiper l’accostage en préparant soigneusement son bateau – amarres, défenses – est indispensable. Mais surtout … ne pas laisser la perspective d’une soirée au bistrot nous détourner de la (bonne) décision initiale.