Charlie Dalin sur son voilier Maif arrive en vainqueur du Vendée Globe aux Sables d'Olonne.

Aux premières loges du Vendée Globe avec Michel Desjoyeaux

Assister aux arrivées des premiers du Vendée Globe en compagnie du double vainqueur de l’épreuve, c’est une proposition qui ne se refuse pas. Voilà comment, un matin glacial de janvier, je me suis retrouvé embarqué à Port La Forêt sur le multicoque hors normes de Michel Desjoyeaux, destination Les Sables d’Olonne, pour accueillir Charlie Dalin et Yoann Richomme.

Les moins jeunes ont peut-être connu les fifty-fifty, solides bateaux de croisière censés se déplacer à la voile dans 50% des conditions, et le reste du temps au moteur : en réalité ils ne marchaient bien ni à la voile ni au moteur, et le concept est pratiquement tombé dans l’oubli à mesure que les voiliers ont gagné en confort et les moteurs auxiliaires en puissance. Des décennies plus tard Michel Desjoyeaux a d’une certaine façon réinventé le principe, version ultra radicale. Le catamaran Mer Agitée, destiné à transporter sponsors, invités ou journalistes sur les départs et arrivées de course, est un navire à propulsion mixte, capable de dépasser les vingt noeuds à la voile comme au moteur…

Le catamaran Mer Agitée dans son jardin, l’archipel de Glénan (photo Eneour Leost)

Cette « plate-forme de communication » de 60 pieds (18,28 m) de long est faite de beaucoup de pièces de récupération. Les coques sont les flotteurs de l’ancien trimaran ORMA Gitana X, dont les foils (des dérives en C) ont été conservés, ce qui aide les coques à déjauger et contrarie les tendances à enfourner (à piquer du nez) à hautes vitesses au portant. Au milieu niche (c’est le mot) une volumineuse nacelle abritant un grand carré avec table à cartes et cuisine, flanqué de deux cabines doubles et d’une salle de bains.

Le mât est le tronçon rescapé du démâtage de l’IMOCA Foncia lors de la Barcelona World Race que Michel Desjoyeaux avait couru en double avec François Gabart. La garde robe a été retaillée dans d’anciennes voiles des bateaux de Mich’, l’accastillage est du même tonneau, l’électronique et l’organisation des manoeuvres sont celles d’un bateau de course au large, le piano ne détonnerait pas à bord d’un IMOCA : on ne se refait décidément pas.

Une jolie salle de bal. Drisses et bosses sont reprises sur des bloqueurs textiles de type « constrictor », à ouverture télécommandée. Sous le piédestal du barreur, la pompe hydraulique de relevage des moteurs hors-bord (photo F. Augendre)

N’étaient-ce la cabine proéminente qui confère à l’ensemble une silhouette sans équivalent et la motorisation, on se penserait à bord d’un catamaran prévu pour la Route du Rhum ou la transat Jacques Vabre. La motorisation ? Deux hors-bord de 300 chevaux, montés sur des chaises relevables par vérins hydrauliques, de façon à supprimer totalement la traînée des embases et des hélices en navigation sous voiles.

L’ensemble est bien léger pour un navire de dix-huit mètres : sept tonnes de déplacement environ. Il ne manque que des plans porteurs sur les safrans pour que le bateau vole – littéralement. Pourquoi ne suis-je pas surpris lorsque Mich’ m’apprend que l’option a bel et bien été testée mais finalement démontée (provisoirement ?), le résultat n’étant pas totalement satisfaisant.

Les 130 milles de navigation jusqu’en Vendée ne me donneront pas l’occasion de pousser la bête dans ses retranchements, toute la route s’est faite contre le vent, à tirer des bords à 11 noeuds de vitesse moyenne tout de même. Au bout du voyage, les retrouvailles avec l’ambiance des grands jours aux Sables d’Olonne, Charlie Dalin que l’on va chercher au large, le catamaran à faufiler dans la meute des bateaux suiveurs, concentration maximale à la barre et les doigts aussi légers que possible sur les manettes de gaz.

En bonne place dans le cortège qui accompagne Charlie Dalin vers la ligne d’arrivée du Vendée Globe (photo F. Augendre)

Et la nuit d’après, rebelote pour accueillir Yoann Richomme avec à bord tout un aréopage de Paprec, l’un de ses sponsors du deuxième de l’épreuve. Michel Desjoyeaux est aux commentaires pour ses invités, devant l’immense écran d’ordinateur (habillé d’une caisse de carbone bien entendu) qu’il installe dans le cockpit pour illustrer ses propos, et sur lequel tourne notamment le logiciel de routage et de navigation Adrena.

On ouvre la route de Yoann Richomme vers le chenal des Sables d’Olonne (photo F. Augendre)

Ce sont des moments qu’on ne raterait pour rien au monde, même avec le bout des doigts gelés et les orteils qui se recroquevillent dans les bottes. L’émotion de ces arrivées s’est aussi teintée d’une petite pointe de nostalgie en pensant à mon ancien métier et à toutes ces éditions du Vendée Globe que j’ai couvertes comme journaliste, depuis la toute première. Je savais bien, en m’embarquant pour cette petite aventure, qu’elle serait rafraichissante à tous points de vue.

"Solitaires autour du monde" chez Solar, un ouvrage de Frédéric Augendre sur la première édition du Vendée Globe, en 1989-1990.

L’ouvrage est épuisé, mais les souvenirs sont bien là.

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